Royaume-Uni
No longer immune: Populism and Radicalism in Britain
Par Edward Banks | Royaume-Uni

Dans le cadre d’un partenariat avec l’Association du Master Affaires Européennes à Sciences Po (AMAE)

 

À l’échelle politique comme religieuse, lorsqu’il en va de la radicalisation au Royaume-Uni, il est aisé de penser que le pays est particulièrement concerné par l’enjeu : Avec le British National Party (BNP) et le United Kingdom Independence Party (UKIP), les divers visages du continuum populiste sont représentés sur la scène politique. La radicalisation religieuse, tel que l’islamisme radical, semble elle aussi profondément ancrée dans la société – le Royaume-Uni n’est pas seulement l’un des rares pays européens à avoir connu une attaque terroriste depuis 2000, mais est aussi connue pour sa solide et influente scène islamiste[1].

Radicalisation politique : La marginalisation du BNP et le discours économique du UKIP

Avant les années 2000, nombreux étaient les experts qui pensaient que le Royaume-Uni était immunisé face à l’extrémisme et le populisme de droite, contrairement à d’autres pays d’Europe. [2] Le panorama a depuis changé avec la montée, sur la scène nationale, du BNP et plus récemment surtout du puissant parti UKIP. Comme beaucoup d’autres mouvements d’extrême droite européens, le BNP a attiré le soutien de groupes exprimant une grande anxiété vis-à-vis de l’immigration et de la déconnexion des partis mainstream. [3] Plus spécifiquement, ils ont gagné des voix au sein d’un pan de la population âgé, peu éduqué, plus masculin et issu de classe ouvrière des villes industrielles du Midland et du Nord. [4]

« Contrairement au Front National français et sa quête de respectabilité, le BNP n’a pas été capable d’adapter son image de parti acceptable »

Le BNP concentre sa narration sur l’opposition à l’immigration et l’islam, ce qui lui permet de s’installer électoralement dans les milieux ouvriers de villes où il y a une large minorité musulmane.[5] Ce contexte les aura aidé à peser politiquement dans certaines régions, avec l’élection de 50 councillors à travers le Royaume ainsi que 2 députés européens. Toutefois, l’ascension du parti dans les années 2000 s’arrêtera avec sa chute autour des années 2010, notamment en raison de son focus électoral sur Londres et de la concurrence du UKIP. La stratégie de concentration des fonds à Londres s’avéra être inefficace, le message du parti se noyant dans une ville aussi habituée à la diversité et l’immigration. [6] De même, les antécédents du parti en tant que mouvement néo-nazi et raciste ont limité sa force de frappe électorale tandis que des partis anti-immigration, qui présentaient une voie plus légitime, gagnaient eux en pouvoir.[7] Emblématique, ainsi, la polémique lorsque le leader du BNP Nick Griffin proposa de faire couler les bateaux transportant des immigrés illégaux.[8] Contrairement au Front National français et à sa quête de respectabilité, le BNP n’a pas été capable d’adapter son image au fil du temps.

C’est finalement le UKIP, lui aussi porteur d’un message anti-immigration et anti-establishment, qui a su véritablement bénéficier de la crise économique de 2007. Comme le BNP, le UKIP fut capable de mobiliser un pan électoral issu de la classe ouvrière, blanche, masculine et considérée comme les perdants de la rapide transformation économique britannique et de la politique menée par l’élite libérale de Westminster.[9] Il y a toutefois des différences notables entre les deux partis. L’une est que le cœur du programme du UKIP s’axe moins autour des immigrants musulmans mais plus sur les immigrés de l’UE. Cela a pu les aider dans leurs quêtes électorales, particulièrement en sachant que les immigrés musulmans originaires des pays du Commonwealth ont eu accès à la citoyenneté britannique et donc au droit de vote[10], tandis que les immigrés de l’UE ne l’ont pas. Contrairement au BNP, le UKIP a obtenu de larges scores dans les régions peu habituées à la diversité [11] – influencés par le portrait qui en est fait dans les très influents tabloïds [12] – et où 90% de la population est blanche. Similairement au BNP, le UKIP ne perce que très peu à Londres.

Il est intéressant d’observer la motivation de l’électeur du UKIP selon la classe sociale : Ainsi, la classe ouvrière vote le parti en raison du danger que représente l’immigration quant à la concurrence pour les jobs, tandis que la classe moyenne se reporte plus sur l’anxiété quant à l’impact de l’immigration sur les moyens de l’État social[13]. C’est d’ailleurs cette partie de l’électorat qui traditionnellement votait pour les Tories, et au regard de laquelle David Cameron a adressé dans le cadre de la campagne du Brexit la promesse d’une limitation de l’accès aux services sociaux des EU immigrants.

Radicalisme islamique et le EDL

Contrairement à d’autres pays européens, la montée du radicalisme au sein de communautés musulmanes n’a pas de lien évident avec la montée du principal parti populiste du pays. En revanche, l’effet est plus probable quant à la présence du BNP et d’un mouvement comme la English Defence League (EDL), porte-parole populaire anti-islam qui se défend de tout racisme ou fascisme, affirmant ne faire que défendre les valeurs occidentales. L’exemple le plus flagrant est le conflit entre l’EDL et l’ultra-conservatif Islam4UK lors de manifestations à Luton en 2009.[14] La présence d’extrémistes islamiques en Grande-Bretagne remonte aux années 80’ lorsque maints activistes et radicaux islamiques avaient trouvé refuge au Royaume-Uni pendant la guerre d’Afghanistan. Jusqu’au 11 Septembre, le gouvernement britannique n’était pas particulièrement préoccupé par la présence sur son sol de prêcheurs radicalisés, de la montée de l’extrémisme, ainsi que du départ de musulmans britanniques partis pour combattre, souvent, les soviets.[15] Certaines organisations se sont alors constituées, promouvant les principes islamiques dans les sphères privées, publiques et politiques tout en appelant à l’établissement d’un califat islamique guidé par la sharia.[16] Bien que nombre de ces dernières furent dissoutes dans les années suivants le 11 septembre, différentes versions se sont continuellement recrées comme notamment Islam4UK, alimentant un islamisme radical gagnant en impact au sein de la communauté musulmane.

Il existe de nombreux facteurs permettant de comprendre pourquoi l’extrémisme islamique est monté en puissance depuis 2001. D’une part et au même titre que le populisme, la raison est économique. Être musulman au Royaume-Uni signifie pour un individu d’être plus exposé aux quartiers difficiles, à l’exclusion et au chômage.[17] Associé à la montée du racisme envers les musulmans britanniques et l’implication du pays dans le cadre d’événements comme la guerre en Irak, le contexte a débouché sur un sentiment d’exclusion et de colère[18], résultant en l’opportunité pour des groupes ultra-conservateurs de recruter des activistes et des soutiens. De plus, l’utilisation grandissante des réseaux sociaux et l’émergence de l’État Islamique ont eu pour conséquence le départ de musulmans radicalisés pour la Syrie partis faire le djihad. En effet, le Ministre des Affaires Étrangères Philip Hammond a affirmé qu’au moins 1500 Britanniques ont tenté de rejoindre la Syrie dans les quatre dernières années, 800 y étant parvenus. [19]

Le sentiment d’exclusion sociale et la libéralisation économique en Grande-Bretagne se sont donc suivis d’une tendance de certains groupes à se radicaliser. Pour la population blanche, cela signifie voter pour le UKIP ou rejoindre les rangs extrémistes de la BNP et de l’EDL. Parallèlement, au sein de la population musulmane, cela résulte en un mouvement vers l’islamisme radical. La confrontation entre les deux extrêmes semble d’ailleurs contribuer au renforcement des deux, puisque cette radicalisation religieuse alimente la victimisation des musulmans tandis que les sentiments anti-islam peuvent mener à un soutien amplifié pour les mouvements populistes et d’extrême-droite.


Sources:

[1] O’Neill, Sean (2015): 3000 terror suspects plotting to attack UK, on: www.thetimes.co.uk.

[2] Kaufman, Eric (2014): ‘The Politics of Immigration: UKIP and Beyond’, The Political Quarterly, Vol. 85, No. 3 (247-250), p. 247.

[3] Ford, Robert; Goodwin, Matthew (2010): ‘Angry White Men: Individual and Contextual Predictors of Support for the British National Partypost’, Political Studies, Vol. 28 (1-25), p. 1.

[4] Ibid

[5] Ibid

[6] Goodwin, Matthew (2014): ‘Forever a False Dawn? Explaining the Electoral Collapse of the British National Party (BNP)’, Parliamentary Affairs, Vol. 67 (887-906), 2014, p. 888.

[7] Ibid.

[8] BBC (2009): Sink Immigrants’ Boats, on: www.news.bbc.co-uk.

[9] Evans, Geoffrey; Mellon, Jon (2015): ‘Working Class Votes and Conservative Losses: Solving the UKIP Puzzle’, Parliamentary Affairs (1-16), p. 3.

[10] Mabbett, Deborah: ‘Representative and Responsible Immigration Policy’, The Political Quarterly, Vol. 85, No. 3, p. 353.

[11] Kaufman, Eric (2014): ‘The Politics of Immigration: UKIP and Beyond’, The Political Quarterly, Vol. 85, No. 3, p. 249

[12] Ibid

[13] Ibid, p. 248.

[14] Pupcenoks, Juris; McCabe, Ryan: ‘The Rise of the Fringe: Right Wing Populists, Islamists and Politics in the UK’, Journal of Muslim Minority Affairs, Vol. 33, No. 2, p. 175.

[15] Ibid.

[16] Ibid.

[17] Abbas, Tabir (2007): ‘Muslim Minorities in Britain: Integration, Multiculturalism and Radicalism in the Post-7/7 Period’, Journal of Intercultural Studies, Vol. 28, No. 3, p. 289.

[18] Pupcenoks; McCabe, p. 177

[19] Groves, Jason (2016): 1,500 Britons have fled to join ISIS in Syria – and 800 have successfully got in, Hammond admits, on: www.dailymail.co.uk.

[20] Pupcenoks; McCabe, p.176.