The Italian Way of Populism
Dans le cadre d’un partenariat avec l’Association du Master Affaires Européennes de Sciences Po (AMAE)
L’expansion de la radicalisation en Europe est aujourd’hui devenu une évidence. La situation géopolitique internationale a contribué à la formation d’un sentiment extrémiste à travers le continent qui ne semble pas connaître de coup d’arrêt. Alors que des partis populistes ont toujours été présents sur la scène politique, leur montée en puissance alarme particulièrement à l’échelle européenne, alimentée par un leitmotiv que semblent partager les différents acteurs des divers pays.
L’Italie est un exemple singulier de cette expansion populiste. L’Italie a en effet toujours été au plus proche des événements du Moyen-Orient, particulièrement la Libye durant 1990. C’est malgré ce passé qu’étonnamment, et contrairement au cas espagnol, l’Italie est l’un des pays le plus confronté au problème d’intégration.
Le cadre politique est extrêmement pluraliste de la même manière que la dynamique populiste qu’on y observe. La situation difficile émanant des dernières élections, ainsi que la communication complexe entre les différents acteurs publics, ont encouragé ce phénomène.
Lega Nord – Un discours radicalisé ciblant l’immigration et l’acquis européen
Sur le devant de la scène populiste italienne se trouve indéniablement Lega Nord, parti d’extrême-droite associé au nationalisme à l’euroscepticisme et au fédéralisme italien. Fondé en 1989 par le « président à vie » Umberto Bossi, connu pour ses idées excentriques, comme lorsqu’il proposait un programme sécessionniste pour les régions italiennes du nord.
« Les propositions de Matteo Salvini divisent en Italie, notamment avec la proposition de sièges réservés aux Italiens dans les transports en commun »
Matteo Salvini, qui à l’heure actuelle dirige le parti, oriente cette dynamique d’enjeux à une échelle européenne, notamment en s’alliant avec le PVV néerlandais ou encore le Front National français. Ses positions divisent en Italie, notamment avec la proposition de sièges réservés aux Italiens dans les transports en commun.
Comme beaucoup d’autres partis populistes d’extrême droite en Europe, la Lega Nord promeut une politique dure envers la crise des migrants et l’immigration en général. Il est ainsi aisé – au vu de la constante crise des migrants qui touche l’Italie depuis des années – d’observer le contexte propice à l’argumentation populiste qui règne dans le pays. L’on retrouve ainsi dans la rhétorique du parti le lien présupposé entre le flux migratoire et la montée du taux de chômage. Un autre point est l’enjeu sécuritaire lié au large nombre d’immigrés illégaux qui arrivent en Italie tous les jours. La population s’inquiète de l’insécurité que peut créer, particulièrement dans les périphéries, un tel flux migratoire. Récemment, Lega Nord n’a pas hésité à utiliser une rhétorique xénophobe avec des slogans comme « Si alla polenta ; no al cous cous »[1]. C’est dans ce contexte que Lega Nord tend à s’alimenter de cette peur afin de poursuivre ses objectifs politiques.
L’Union Européenne et les enjeux de souveraineté qui en découlent sont elles aussi amplement discutés au sein du parti. Lega Nord représente une ligne europhobe et critique vertement les institutions, certains États Membres. Le parti remet aussi en cause la zone Schengen et introduit régulièrement l’idée d’un référendum au sujet d’une potentielle sortie italienne de l’UE et de l’eurozone.
L’inflation du populisme
Il convient de prendre la mesure d’un populisme dont le terme est extrêmement utilisé au sein du scénario politique national. Rares sont ceux qui n’ont pas été, au moins une fois, accusés de populisme. Ce phénomène résulte en une dynamique inflationnaire du concept. Selon le politologue Marco Tarchi[2], les classes dirigeantes donnent vie à ce concept à la connotation négative, dénonçant la démagogie et le dilettantisme d’acteurs discrédité. Le phénomène populiste, en Italie, s’est ainsi développé dans toutes les directions politiques, n’épargnant ni la gauche, ni la droite.
« Lega Nord n’a pas hésité à utiliser une rhétorique xénophobe avec des slogans comme ‘Si alla polenta ; no al cous cous' »
L’autre parti actuellement qualifié de populiste est à cet effet le Movimento Cinque Stelle, de par son rejet dans son entier de la classe politique et de son objectif qui tend à redonner au peuple le pouvoir au moyen de référendums et de sondages en ligne. Bien que le parti soit sur papier totalement différent de Lega Nord, les deux sont souvent comparés et vus comme similaires.
Il convient toutefois de nuancer ces similarités. Le Movimento Cinque Stelle ne se positionne toutefois pas contre l’immigration en soit, contrairement au Lega Nord, mais contre la politique qui est menée par le gouvernement à ce sujet. De même, au sujet du mariage homosexuel, Lega Nord s’y oppose tandis que le Movimento Cinque Stelle affiche une approche plus progressiste.
Un certain pouvoir d’agenda-setting
Il est intéressant de mesurer l’impact de ces partis au regard de l’élection de 2013, lors desquelles les acteurs populistes ont été parmi les protagonistes. D’une part, Lega Nord faisait partie de la coalition avec le parti de centre-droit mené par Silvio Berlusconi, créditée de la deuxième place avec 29%, moins d’un point derrière la coalition de centre-gauche. Lega Nord n’a en revanche eu qu’un rôle mineur au sein de cette coalition avec un score de 4%, relativement en baisse par rapport aux élections de 2008 (8%). De l’autre côté, le Movimento Cinque Stelle a fait route seule et a connu un score inédit (25,5%). Les deux partis populistes, pris individuellement, ont pesé durant la campagne avec un certain agenda-setting power.[3]
La couverture médiatique et l’attitude de certains acteurs politiques vis-à-vis du phénomène populiste est considéré comme l’un des éléments clés du soutien politique dont ils bénéficient. L’actualité de Lega Nord est relativement bien couvert par les médias nationaux, de par les enjeux populaires que le parti aborde avec un ton insolite, inévitablement propice à l’audience pour les médias. Alors même que les partis populistes se voient comme victimes de médias au service du système, comme le montrent les discours de l’AfD au sujet de la Lügenpresse et du Front National sur les médias bobos, la réalité montre souvent que la vérité est autre.
De par ce poids électoral et la notoriété acquise, les acteurs populistes italiens détiennent indéniablement un certain pouvoir au sein du débat national. Toutefois, ils n’ont pas radicalement influencé la position officielle du pays. La zone Schengen reste ainsi par exemple à l’abri d’une sortie italienne. En revanche, il convient de mesurer le grandissant soutien à un bloc opposé à tout nouvel effort d’intégration européen, teinté d’un racisme assumé. La crise de sécurité en Europe n’aide forcément pas la cause pro-intégration, tandis que les médias sociaux, largement utilisés par les mouvements populistes, est un instrument de luxe pour permettre à la rhétorique xénophobe et populiste de trouver racine au sein de la population. Malgré la réduction du flux de réfugiés, l’Italie reste l’un des hotspots en Europe. La fermeture de la route de Balkan laisse d’ailleurs présager le retour de cette problématique. Ce sera la mission de l’UE que de démontrer sa capacité à faire face au problème en tant qu’un acteur, sinon quoi les sentiments populistes gagneront probablement en popularité, remettant sérieusement en question le projet européen dans son ensemble.
La radicalisation religieuse – deux extrêmes qui s’autoalimentent
L’islam est la deuxième religion en Italie après le christianisme, notamment à travers le flux migratoire des dernières années. Il convient toutefois d’observer que cela correspond à 1,9% de la population totale. A la suite du contexte migratoire actuel, le pays a connu des problèmes dans le processus de l’intégration, peu aidé par le manque d’information sur l’islam, voire son association erronée avec la terrorisme et la violence.
Après les attaques terroristes de Paris, ce sentiment s’est intensifié et certains acteurs l’ont instrumentalisé à des fins politiques. Ainsi, avant Noël, une polémique a éclaté au sujet de la nécessité et le droit d’avoir une crèche à l’intérieur d’un établissement public, comme une école ou un tribunal. La discussion s’axait autour de la question de l’ « identité religieuse italienne », possible proie de la redoutée arrivée d’un radicalisme musulman.
« Selon les dernières informations, 90 Italiens ont quitté le pays pour la Syrie »
Immédiatement après les attaques, Ilaria Giorgetti, membre du parti Popolo delle Libertà, proposa de placer un crucifix dans chaque école[4], en réponse aux événements parisiens. Elle bénéficia du soutien de Lega Nord et de Fratelli d’Italia, parti d’extrême-droite fondée par d’ex-membres du Popolo delle Libertà. Même si le maire de Bologne a condamné la proposition, la qualifiant de contre-productive, le débat connut un fort écho utilisé par les soutiens de la proposition afin d’intensifier le débat autour de la migration et de l’intégration.
Sachant que l’Italie est un état séculaire, l’existence d’un débat autour d’un tel thème démontre une division profonde au sein de la population, exposant une certaine obsession politique du fait religieux. Il est d’ailleurs important de noter que la position officielle du gouvernement sur le conflit contre l’extrémisme religieux est radicalement différente. Le premier ministre italien, Matteo Renzi, a ainsi emboîté le pas aux événements parisiens en proposant des mesures sécuritaires mais aussi culturelles. Le gouvernement a ainsi débloqué un budget afin que chaque jeune italien reçoive 500 euros à sa majorité, sous la forme d’un culture pass, à dépenser au théâtre, dans les musées et concerts[5]. En réponse à cela, Lega Nord a organisé des manifestations en Italie pour demander une législation plus dure sur l’immigration et les frontières ainsi que l’interdiction du voile islamique et l’introduction d’une obligation des crucifix dans les écoles publiques.
Tandis que les partis extrémistes utilisent le climat anxiogène au profit de l’instrumentalisation et d’un amalgame autour de l’islam, l’islamisme radical, lui, croît avec la dynamique européenne tel que l’on peut observer. Selon les dernières informations, 90 Italiens ont quitté le pays pour la Syrie[6] – des chiffres moins élevés que ce que l’on observe par exemple en France et en Belgique. La radicalisation est donc toutefois bien présente sur le sol italien – l’expert en relations internationales Lorenzo Vidino parlant même d’un home-grown islamism italien[7]. Le gouvernement, dans son combat contre les cercles de promotion de la violence, procède d’ailleurs à des expulsions plus régulières. Redjep Ljimani, salafiste expulsé en janvier, fut ainsi le 67ème à faire l’objet d’une telle procédure depuis la fin de 2014[8]. Malgré cette politique et aux lendemains des attaques à Bruxelles, le Premier Ministre a toutefois rappelé que l’Italie a prise « toutes les mesures de sécurité nécessaires, bien qu’il n’y ait pas de preuves quant à une menace spécifique en Italie »[9].
Conclusion
Il est évident que l’Italie n’est pas une exception dans le cadre de la montée du populisme et de l’extrémisme. La situation ne devrait d’ailleurs pas changer dans l’avenir proche, en particulier en ce qui concerne l’intensification du conflit au Moyen Orient et l’augmentation du flux migratoire à destination de l’Europe. Comme rarement auparavant, la population est une cible très exposée à l’argumentation populiste et il faudra à l’UE une position unifiée pour la contrer. La solution, aujourd’hui, semble être l’information, seul instrument capable de lutter face à l’amalgame et la peur afin de donner à la population une réflexion réaliste et indépendante, base de la tolérance.
Sources:
[1] Europe 1 (2011): Tour d’Europe des affiches de la haine, on: www.lelab.europe1.fr.
[2] Allegranti (David) (2016): “Chi è il populista nell’Italia di Beppe Grillo”, on: www.wired.it, Attualità.
[3] Elezioni 2013. Il Sole 24 ore. Italia (2013). Web Mar 2016.
[4] Marceddu, David (2015): “Parigi, Giorgetti: crocifisso nelle scuole. Merola non ci sta”, on: Il Fatto Quotidiano.
[5] Il Fatto Quotidiano (2015): “Terrorismo, Renzi: “Un miliardo per la sicurezza e uno per la cultura. La bellezza sarà più forte della barbarie””, on: www.ilfattoquotidiano.it.
[6] Marone, Francesco (2016): Italian Jihadists in Syria and Iraq, on: www.jtr.st-andrews.ac.uk.
[7] Vidino, Lorenzo (2014): Home-Grown Jihadism in Italy, on: www.ispionline.it.
[8] Repubblica.it (2016): Espulso padre dello studente che dopo gli attentati di Parigi inneggiava all’Is in classe, on: www.repubblica.it.
[9] Ansa (2016): Renzy says all terror measures taken, no specific threat, on: www.ansa.it.