Roumanie
La radicalisation politique: Loin des yeux politiques, près du coeur populaire
Par Beatrice Manole | Roumanie

Dans le cadre d’un partenariat avec l’Association du Master Affaires Européennes de Sciences Po

 

« In Romania things are not all right, but at least they are not far right » titrait la campagne publicitaire menée en 2013 par le journal roumain Gândul et GMP Advertising, suite aux attitudes de rejet de la part du Royaume Uni (notamment traduites dans la position du parti d’extrême droit, UKIP) envers l’immigration des roumains dans le pays.

Ce titre contraste avec le passé pesant de la Roumanie en matière d’extrémisme. Le pays a premièrement connu l’extrémisme avec l’instauration du régime d’Ion Antonescu, en 1940, associé au mouvement fasciste dit Garde de fer. C’était un régime xénophobe, ayant promulgué des lois antisémites. Ensuite, avec la montée du communisme, des sentiments nationalistes forts ont été insufflés au sein de l’idéologie du pays, ce qui a fait qu’avec la chute du régime communiste, ces sentiments étaient encore très présents parmi les personnalités politiques. La violence qui a mené à cette chute, combinée avec l’idéologie nationaliste, a rendu très facile la montée des mouvements extrémistes en Roumanie, dans une nouvelle époque de transition vers la démocratie.

Néanmoins, l’extrémisme contemporain en Roumanie est différent des autres mouvements d’extrême droite émergents en Europe. Il convient d’entendre par l’extrême droite le type d’extrémisme représenté par une violence idéologique traduite par le racisme, la xénophobie et l’homophobie, dotée d’un caractère nationaliste fort. Il s’agit d’un extrémisme non politisé, comme on le verra, et faible du point de vue de déclin identitaire. En fait, le Rapport de 2014 de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance salue les efforts faits par la Roumanie en cette matière depuis 2006.

Quels sont les acteurs politiques roumains qui contribuent à la radicalisation des esprits ?

Le Parti de la Grande Roumanie (PRM) est un parti populiste fondé en 1990 par des personnalités de la littérature communiste – Corneliu Vadim Tudor et Eugen Barbu. C’est un parti avec une attitude ultra nationaliste qui promeut la protection de l’intégrité territorial et qui mise sur des sentiments antisémites et antiroms. Il se considère être au centre gauche de l’axe politique, bien que les analystes politiques le placent plutôt à l’extrême droite. Corneliu Vadim Tudor, qui fut président du parti jusqu’à son décès en 2015, avait le caractère excessif que la conceptualisation du populisme prédit – ses discours, provocateurs la plupart du temps, transmettaient ainsi une sorte de haine envers ceux qu’il considérait inférieurs[1].

« Le PRM a une attitude ultra nationaliste qui promeut la protection de l’intégrité territoriale et qui mise sur des sentiments antisémites et antiroms »

Le Parti de la Nouvelle Génération – Chrétien Démocrate (PNG-CD) est un parti populiste fondé en 1999, avec une idéologie proche de celle de la Garde de fer, faisant beaucoup de références symboliques à celle-ci, avec une forte croyance envers l’orthodoxie chrétienne. George Becali, son président, une personnalité controversée sur la scène publique en Roumanie, a été de nombreuses fois accusé pour ses propos racistes envers les femmes et les minorités[2].

Enfin, le Parti de la Nouvelle droite (PND) a été fondé en 2000 sous la forme d’une association. L’idéologie du parti se rapproche là aussi de celle de la Garde de fer, et il milite contre l’avortement et l’homosexualité, se fait remarquer par son discours antisémite et raciste ainsi que pour être contre l’autonomie de la Transylvanie et eurosceptique. On peut observer ainsi sur son site internet des initiatives contre l’accueil des réfugiés en Roumanie ou encore le stop de financement des organisations et partis appartenant à la minorité Roma[3].

Un succès mitigé auprès de la population

En Roumanie, le vote pour l’extrême droite n’a jamais rencontré un grand succès. Le PRM a connu sa popularité pour la première et dernière fois en 2000, quand il remporta 20% des scrutins lors d’élections nationales, se plaçant ainsi second. En fait, la seule période où le PRM a été représenté dans le parlement national est entre 1992 et 2008. Dans les élections du Parlement européen de 2009, le PRM a obtenu 8,65% du vote, gagnant ainsi trois mandats de députés européens. Néanmoins, les élections européennes de 2009 sont les dernières lors desquelles des membres du PRM ont obtenu des sièges dans le Parlement européen, ce qui fait de 2008 la dernière année lors de laquelle un parti roumain considéré d’extrême droite a été représenté au sein du Parlement européen.

Le PND et le PNG, quant à eux, n’ont jamais été représentés au parlement national, illustrant les limites de la « radicalisation d’esprits » opérée par ces acteurs finalement marginaux.

En ce qui concerne la relation de ces partis avec d’autres mouvements similaires en Europe, on peut donner comme titre de référence le cas du PRM. Ce parti a ainsi apporté sa pierre à la construction du groupe politique européen d’extrême droite « Identité, tradition et souveraineté », avec l’entrée de la Roumanie dans l’UE – mais ce groupe a été dissolu l’année même, en 2007, à cause des propos considérés comme xénophobes par Vadim Tudor, apportées par la député européenne Alessandra Mussolini dans une affaire de Roms. Les cinq députés européens de Roumanie qui en étaient membres ont quitté le groupe, qui n’avait alors plus assez de députés pour pouvoir continuer son activité.

Actuellement, il n’y a qu’un des 32 députés européens roumains qui soit membre du groupe d’extrême droite Europe des Nations et des Libertés. Laurenţiu Rebega est vice-président de ce groupe, et indépendant au niveau national.

Qu’en est-il de l’extrémisme contemporain en Roumanie ? Peut-on parler d’une sorte de « Janus face » d’un « soft » extrémisme ?

Si l’extrémisme n’est pas institutionnalisé au sein du système politique, le public extrémiste est lui bien présent avec des idées ancrées au sein de la société. Il est, ou plutôt était présent aussi sur Internet, à travers des pages créées à caractère extrémiste, notamment représenté par des associations qui se donnaient pour mission de perpétuer l’idéologie de la Garde de Fer, tel que « Totul pentru ţară » (Tout pour le pays – qui a commencé comme parti en 1993), le journal en ligne « Cuvântul legionar » (Le mot de la Garde de fer)[4], et encore d’autres, qui ont étés forcés de cesser leurs activités après la promulgation de la loi de 2015 relative à l’interdiction des organisations et symboles à caractère fasciste, raciste ou xénophobe et le culte des personnes qui ont commis des crimes contre l’humanité[5].

« Si l’extrémisme n’est pas institutionnalisé au sein du système politique, le public extrémiste est lui bien présent avec des idées ancrées au sein de la société »

Il y a des problèmes plus concrets ensuite, tel que la question des minorités – la minorité Roma, ou les Hongrois, qui font face à une évidente xénophobie, ou encore l’homosexualité, qui reste encore une question taboue en Roumanie. Selon une étude de 2009 d’INSOMAR (l’Institut National pour l’étude des opinions publiques et du Marketing), plus de 55% des Roumains avaient ainsi répondu que les minorités sexuelles devraient recevoir un traitement médical, et plus de 56% qu’ils ne se sentent pas à l’aise autour des Roms.[6]

Les Roms constituent la minorité la plus discriminée en Roumanie. Ils sont toujours associés automatiquement au crime, à la violence et à un manque d’éducation. Comme le précise l’historien roumain Alexandru Climescu dans son article (2014), il y a un sentiment de peur que la population roumaine soit associée en termes culturels, linguistiques et sociaux à la minorité Roma, qui à long terme deviendrait une majorité, selon des statistiques démographiques plus ou moins contestées. Cette théorie, qui n’est pas sans rappeler celle du Grand Remplacement en France, mettrait ainsi en péril l’intégrité roumaine.

En ce qui concerne la minorité hongroise, il y a des tensions régionales qui persistent à cause d’un contexte historique qui remonte à la première guerre mondiale et le Traité de Trianon. Il y a un conflit territorial autour de l’appartenance du territoire de la Transylvanie entre les Roumains et les Hongrois, faisant des Hongrois une menace aux yeux des Roumains. La Transylvanie faisait partie du Royaume Hongrois avant que la Grande Roumanie l’intègre à son territoire en 1918 ; le territoire ensuite annexé à la Hongrie par l’USSR avant d’être récupéré par la Roumanie et reconnu comme territoire roumain à l’issue du traité de Paris en 1947. Néanmoins, les tensions persistent des deux côtés dès que sont réaffirmées certaines convictions hongroises réclamant le retour de la Transylvanie en tant que territoire national, et ces invectives sont visibles jusque dans l’apparition de quelques dessins symboliques sur certains murs de villes roumaines. Il y a d’ailleurs en Roumanie, au sein du parlement depuis 1989, une représentation politique de la minorité hongroise à travers l’Union démocrate magyare (17 sièges avec les élections de 2012). Les autres minorités sont elles aussi représentées par un parti – le groupe parlementaire des minorités nationales, lui aussi composé de 17 sièges.

Il s’est construit au sein du pays une sorte de « culte » chrétien orthodoxe, autour de l’Eglise Orthodoxe roumaine (BOR), qui occupe un lieu central dans la religion des citoyens et des hommes politiques roumains. Elle promeut le caractère nationaliste de l’Etat, et selon Iordachi (2004), il y a eu une collaboration étroite entre BOR et le mouvement Garde de fer. BOR a d’ailleurs milité contre les droits des minorités sexuelles en Roumanie[7]. Le Secrétariat de l’Etat pour les cultes reconnaît certes la légitimité de BOR, mais le fait toutefois en reconnaissant de même le culte musulman de Roumanie ainsi que la Fédération des communautés juives de Roumanie, parmi d’autres. Cependant, plus récemment, une manifestation était organisée en 2015 par des membres du parti d’extrême droite PND pour s’opposer à la construction de la grande mosquée de Bucharest. La controverse naquit d’un débat public anxiogène, porté par quelques personnalités politiques et annonçant la construction de la mosquée sous la lumière d’un projet apocalyptique qui apporterait l’islamisme et le terrorisme au sein du territoire. Ici joue aussi le côté économique, par le fait que cette construction signifierait une dépense inutile.

Quel avenir pour la radicalisation des esprits en Roumanie ?

Il apparaît ainsi qu’en Roumanie, l’extrémisme se fait un nid non pas à partir de la scène politique mais grâce à un débat public au sein duquel de vieux démons peuvent être réveillés au détour d’une polémique.

Il n’est d’ailleurs pas anodin d’observer dans ce cadre-là ce qui est appelé le “traseism politic” en Roumanie et qui consiste en un changement de parti. C’est ainsi le cas de plusieurs personnalités politiques de l’extrême-droite qui sont venues intégrer les rangs d’autres acteurs du spectre politique.

En somme, l’extrémisme en Roumanie, s’il peine à s’exprimer au sein d’un agenda politique se suffisant à lui-même, est toutefois et en partie enraciné dans quelques-unes des structures qui font la spécificité roumaine, de l’histoire communiste aux faits historiques comme nous avons pu le remarquer avec la Hongrie. Cela ne veut donc pas dire que le danger n’existe pas, mais que cela dépend surtout des dynamiques portées par la société civile, qui nous l’avons vu a déjà prouvé s’impliquer dans de tels mouvements selon le contexte sociétal et économique.


Sources:

[1] Dans l’article ‘Les scandales de Corneliu Vadim Tudor’ du journal România Liberă, Andra Dolana présente quelques vidéos qui résument bien la personnalité fulminante de ce politicien, lorsqu’il insulte des personnes qu’il considère avoir une éducation au-dessous de son niveau. Mais plus important, ses discours de haine sont dirigés plutôt envers les Hongrois, comme le présente aussi Gallagher (2014) dans son article.

[2] Voir la bibliographie Cinpoe, p. 6.

[3] Voir le site Internet official de PND.

[4] Climescu (2014) présente cela très bien dans son article.

[5] Vous pouvez trouver l’intégralité du texte de loi à l’adresse suivante.

[6] Voir la bibliographie: Cinpoeş, p. 10.

[7] Cinpoeş, p. 8.

Bibliographie:

Cinpoeş, R. (2012): The Extreme Right in Contemporary Romania, in Right-Wing Extremism in Europe: Country Analyses, dans Counter-Strategies and Labor-Market Oriented Exit Strategies, Friedrich-Ebert-Stiftung.

Climescu, A. (2014): Extremismul de dreapta online în România, Sfera Politicii : 3(179).

Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (2014): Raportul ECRI privind România, sur: www.coe.int.

Deloy, C. (2014): Ascension of populist parties but relative stability of political balance in the European elections, Fondation Robert Schuman, sur: www.robert-schuman.eu.

Dolana, A. (2015): See the video “Scandalurile în care a fost implicat Corneliu Vadim Tudor”, on: www.romanialibera.ro.

European Humanist Federation (2013): The European Union and the Challenge of Extremism and Populism, How to protect democracy and the rule of law in Europe?

Feffer, J (2015): The State of Romanian Extremism, sur: www.johnfeffer.com.

Gallagher, T. (2015): Corneliu Vadim Tudor: Court poet to Nicolae Ceausescu who became an extreme nationalist figure after the fall of communism in Romania, sur: www.independent.co.uk.

Iordachi, C. (2004): Charisma, Religion, and Ideology: Romania’s Interwar Legion of the Archangel Michael, dans: Lampe, J. R. Mazower, M. (eds): Ideologies and National Identities: the Case of Twentieth-Century Southeastern Europe, Budapest: Central European University Press, pp. 19 – 53.

Matis, A (2014): Alegerile Europarlamentare 2014, dincolo de Ponta şi Băsescu. „FAR-RIGHT”- cuvintele care ar trebui să SPERIE orice roman, sur: www.gandul.info.

Stoiciu, V (2014): De ce nu avem partide de extrema dreaptă în România sau despre gândirea compulsiv-extremistă, sur: www.contributors.ro.

The Spinelli Group (2013): The Rise of Populism and Extremist Parties in Europe.

Turcanu, F. (n.d.) National and Right-Wing Radicalism in the New Democracies: Romania, Friedrich-Ebert-Stiftung, sur: www.fesb.hu.