Suède
Le populisme de droite et comment il se nourrit des crises européennes
Par Alva Westlund | Suède

Dans le cadre d’un partenariat avec l’Association du Master Affaires Européennes de Sciences Po (AMAE)

 

C’est en 1979 que fut créée l’organisation Keep Sweden Swedish (Bevara Sverige Svenskt BBS) avec pour mission principale de mobiliser les mouvements suédois anti-immigrations, dont les racines remontaient vers diverses organisations nazies et fascistes. Avant le lancement de cette campagne, le populisme nordique évoluait surtout autour de l’enjeu de l’insatisfaction vis-à-vis de taxes, monopoles d’état et de l’influence syndicale. Il ne portait pas encore un message critique quant au multiculturalisme ou à une quelconque résistance contre l’immigration[1]. Quoi qu’il en soit, la campagne résulta en la création, en 1988[2], d’un nouveau parti d’extrême droite populiste, les Swedish Democrats, critiquant pour sa part les syndicats, les taxes mais aussi l’immigration. Créé par des membres de la campagne BBS, le parti permettait alors pour ces derniers de se construire une façade politique faisant oublier ses racines ancrées dans la violence de rue. C’est sous l’égide du SD que l’« immigration de masse » et ses dangers sont devenus la pierre angulaire de l’extrême droite suédoise. Le parti, jusqu’en 1994, souffrait d’une désorganisation chronique due à des contradictions internes et à un manque de légitimité populaire. À la fin des 1990, le parti parvint toutefois à se structurer et à se pourvoir d’une vitrine respectable[3], rayant les pans les plus provocateurs de sa rhétorique et excluant les membres les plus extrémistes au sein de ses rangs : au début des années 2000, le parti avait graduellement mué en parti d’extrême-droite qui combine l’ethno-nationalisme avec un agenda politique populiste.[4]

« En 2014, le parti des Swedish Democrats devenait ainsi la troisième force politique du parti avec 12,9% des votes »

Le SD est aujourd’hui souvent décrit comme un parti raciste par observateurs et adversaires politiques, bien qu’il rejette cette accusation depuis sa création et qu’il se décrit pour sa part comme étant nationaliste ainsi que conservateur sur le plan sociétal[5]. À l’échelle électorale, les Swedish Democrats ont atteint en 2010 la barrière des 4% nécessaires pour l’entrée au Parlement, avec 5,7% des votes. En 2014, le parti connaissait même une augmentation de ce score (+7,2%) et devenait ainsi la troisième force politique du parti avec 12,9% des votes. Au niveau européen et avec 9,7% des voix aux élections de 2014, le parti dispose de 2 sièges au sein du Parlement européen, au sein du groupe EFDD.[6]

Un clivage grandissant en Suède : Le SD dans l’arène politique

Le parti des Swedish Democrats, avec le temps, s’est montré de plus en plus hostile vis-à-vis de la communauté musulmane à laquelle il associe une immigration de masse qui serait la plus grande menace pour le pays depuis la Seconde Guerre Mondiale[7]. Cette ligne politique fut notamment le cheval de bataille de Jimmi Akesson, qui participe, depuis son arrivée à la direction du parti en 2004, régulièrement à débats autour de la peur de l’ « islamisation de la Suède ». C’est aussi lui qui fut en 2009 à l’origine de la vidéo de campagne portrayant la femme musulmane dans le rôle d’agressifs parasites sociaux profitant du système social suédois et de ses allocations.[8]

 

Depuis l’arrivée au parlement du SD, les autres partis suédois représentés ont déclaré un pacte de non-coopération avec le parti populiste. L’idée était d’éloigner le SD de toute influence politique et de décourager les électeurs à voter pour l’option populiste. Toutefois, l’isolation politique n’a pas ralenti la montée en puissance des Suédois Démocrates et a au contraire nourri la rhétorique populiste du parti, trop heureux de pouvoir se présenter comme victime discriminée par l’establishment politico-médiatique.

Au vu de la politique de non-coopération avec le SD, l’impact réel de ce parti dans la politique suédoise a largement été débattu. Certains observateurs disent que l’influence a été négative pour les intérêts du parti car elle aurait fait naître des coalitions de gauche encore plus favorables envers l’immigration qu’auparavant.[9] D’autres font toutefois état d’une influence certaine du parti dans le débat public autour de l’immigration (agenda-setting-power)[10], ce malgré le pouvoir limité au Parlement. Surtout, les Swedish Democrats ont un rôle pivot au Parlement depuis les élections de 2014, où ils appellent à des réformes quant à la politique d’asile et d’immigration dans les régions où ils bénéficient d’un support accru.

La crise européenne, un contexte favorable au SD ?

Il est évident que le parti a profité des débats récurrents autour des maintes difficultés qu’affrontent aujourd’hui l’Europe. C’est particulièrement le cas pour la crise des migrants, au regard de laquelle le SD a pu gagner en légitimité depuis que les partis de centre droit ont aussi reconnu que le flux de réfugiés avait créé des problèmes en Suède. Cette légitimité est de même visible lorsque l’on s’attarde à l’évolution de l’électorat populiste. Si en 2010, ce dernier émanait d’une population masculine, peu éduquée et rurale[11], l’élection de 2014 a prouvé que le parti voyait croître ses soutiens quasiment partout dans le pays, notamment aussi parmi les personnes les plus éduquées et les plus riches[12].

« L’élection de 2014 a prouvé que le parti voyait croître ses soutiens quasiment partout dans le pays, notamment aussi parmi les personnes les plus éduquées et les plus riches »

Le dénominateur commun de cet électorat de 2014 renvoie à l’inquiétude vis-à-vis de l’immigration accrue en Suède, et ses effets sur la société.[13] Aujourd’hui, le parti des Swedish Democrats dispose d’un soutien aux portes de la barre des 20%, tandis que l’immigration est parmi les enjeux les plus importants aux yeux d’électeurs suédois. Il en résulte que la rhétorique et le programme du parti est de plus en plus dominateur et normalisé au sein du débat public suédois, permettant au SD de se positionner plus que jamais comme le seul parti osant aborder les « vrais » thèmes en Suède.[14]

Surtout, l’attention accrue vis-à-vis des enjeux du parti, ainsi que l’incapacité des gouvernements nationaux à conclure des accords à l’échelle européenne, sont autant d’arguments qu’utilise le parti pour affirmer qu’il avait vu venir le danger avant tout le monde.[15] Le résultat est celui d’une Suède polarisée avec d’un côté une communauté hostile aux musulmans et aux immigrés, au sein de laquelle la violence de rue et la destruction de camps de réfugiés ne sont plus phénomènes inédits, et de l’autre côté une société civile se mobilisant de plus en plus contre le parti populiste, active auprès d’organisations aidant à l’intégration des immigrés. La menace de terrorisme a là aussi joué un rôle puisqu’il est une ressource évidente pour le SD, au même titre que la radicalisation religieuse. En 2010, la Suède faisait face à un premier attentat suicide à Stockholm. Même si l’explosion ne tua que l’auteur même de l’attentat, l’approche qui était jusqu’ici celle des autorités vis-à-vis d’individus radicalisés fut l’objet d’une remise en question. Aujourd’hui d’ailleurs, comme dans maints pays européens, la question des retours de djihadistes suédois de Syrie se pose. En mai 2015, le directeur de la Swedish Integration Police, Ulf Boström, affirmait qu’au moins 50 djihadistes suédois – peut-être aussi 100 – étaient de retour en Suède, et qu’aucun d’entre eux n’avaient jusqu’ici fait l’objet d’une persécution juridique relative au crime de terrorisme.[16]

« En mai 2015, le directeur de la Swedish Integration Police, Ulf Boström, affirmait qu’au moins 50 djihadistes suédois – peut-être aussi 100 – étaient de retour en Suède »

Au vu de l’augmentation rapide du nombre d’individus potentiellement dangereux en Suède sur les dernières dix années, le service secret (SÄPO) a caractérisé la situation de course contre la montre dans laquelle il faudra agir plus vite que jusqu’ici afin de garder le contrôle, avec « un focus plus prononcé sur les mesures préventives ».[17] Pour la première fois, le SÄPO a publié un rapport brossant le portrait d’un islamisme radicalisé prônant la violence, composé d’individus masculins se connaissant, utilisant internet pour outil de propagande et ayant grandis en Suède. La différence fondamentale avec des pays comme la France et la Belgique semble dans ce cadre être la relative faiblesse logistique dont souffrirait cet islamisme radical en Suède. « Il est relativement difficile pour eux de mobiliser assez de ressources en raison de leur manque de réseau ».[18]

 


 

Sources:

[1] Langenbacher, Nora; Schellenberg, Britta (2011): Is Europe on the ‘right’ path? – Right-wing extremism and right-wing populism in Europe, project“Combating right-wing extremism“, Friedrich-Ebert-Stiftung: Forum Berlin, pp. 271-272, on: www.library.fes.de.

[2] Andersson, Hans (2007): Från Bevara Sverige svenskt BSS 1979 till Sverigedemokraterna 2006Malmö: Skrivareförlaget. ISBN 91-86794-69-8.

[3] Bjurval, Lisa (2014): From boots to suits: Sweden Democrats’ extreme rootin EUObserver.

[4] Rydgren, Jens (2004): Från skattemissnöje till etnisk nationalism: 15 år med den radikala högerpopulismen i Sverige, in “Från Le Pen till Pim Fortuyn – populism och högerextremism i dagens Europa”Malmö: Liber.

[5] Sverige Demokraterina: See the section “Vår Politik”, on: www.sd.se.

[6] SVT (2015): SD-väljarna finns nu i alla väljargrupper, on: www.svt.se.

[7] The Local (2015): Åkesson: ‘Islamism is the Nazism of our time’, on: www.thelocal.se.; Langenbacher; Schellenberg, p. 276.

[8] See the Campaign video on Youtube called “Sverigedemokraternas officiella reklamfilm, tv4”.

[9] Intervju with: Bolin Niklas (2015), available on Youtube.

[10] For Example: Roland Utbult (KD), Ebba Bush Thor (KD), Jan Björklund (FP). More examples here.

[11] SVT.

[12] Ibid.

[13] Ibid.

[14] Sveriges Radio (2014): Sverigedemokrater får större inflytande i asylärenden, on: www.sverigesradio.se. :

[15] BBC News (2015): Sweden far-right party makes gains from migrant crisis, on: www.bbc.com

[16] Hampus, Dorian (2015): Inga åtal väcks mot svenska IS-hemvändare, on: Göteborgs-Posten, www.gp.se.

[17] Sakerhetspolisen, Swedish Security Service (2010): Report on Violence-Promoting Islamist Extremism in Sweden, on: www.sakerhetspolisen.se.

[18] Sakerhetspolisen, Swedish Security Service (2014): Annual Report, on: www.sakerhetspolisen.se.

Plus d’informations:

BBC NEWS (2014), Profile: Far-right Sweden Democrats, on: www.bbc.com.

The Guardian (2015), Anti-immigration, anti-liberal: meet Sweden’s far-right future – video, on: www.theguardian.com.

The Guardian (2015), Swedish asylum policy fuels support for far-right nationalist party, on: www.theguardian.com.