Danemark
Populism and extremism in Denmark: the songs of the sirens
Par Christian Augustesen and Rémi Petitcol | Denmark

Dans le cadre d’un partenariat avec l’Association du Master Affaires Européennes de Sciences Po (AMAE)

Le Danemark a récemment fait l’objet de l’attention de ses pairs européens et occidentaux. En ces temps de crise, le royaume scandinave a décidé d’adopter une position ouvertement réfractaire à l’immigration non-européenne, ce qui a été vécu par nombre de Danois comme allant à l’encontre des valeurs traditionnelles d’ouverture et d’universalisme de la région. Cet écart entre cette vision idéalisée du Danemark et la réalité du ton des débats politiques nationaux mène même certains membres éminents de la société civile à se déclarer « honteux d’êtres Danois ». La question de savoir si cette honte n’est pas une réaction excessive anime toujours les progressistes du pays.[1]

La différence entre l’image du Danemark comme une utopie sociale-démocrate et la réalité modérément conservatrice de la politique du royaume est loin d’être nouvelle. Le règne sans partage des sociaux-démocrates est depuis longtemps terminé, et les discours conservateurs dominent la scène politique depuis maintenant plusieurs décennies. Comme dans un certain nombre de pays européens, l’influence de l’extrême droite n’est pas nouvelle et elle ne cesse de se renforcer.

Le Parti du Peuple Danois (Dansk Folkeparti, DF) est aujourd’hui le deuxième parti politique du pays et maîtrise en grande partie l’agenda politique. En 1973, un nouveau parti de droite radicale, le Parti du Progrès (Fremskridtspartiet), arrive à devenir la seconde force politique du parlement lors d’une élection historique. Cette performance est généralement attribuée à leur programme anti-establishment et contre des impôts jugés excessifs. Plus tard, en 1995, des anciens du Parti du Progrès créent DF avec la volonté de mettre au centre du débat politique danois la question de la préservation de l’identité traditionnelle du royaume, l’immigration et l’intégration des étrangers. DF se caractérise donc par deux types de discours: un discours économique plutôt conservateur, et un discours anti-immigration plus virulent qui peut s’approcher de l’islamophobie.[2] Enfin, comme ses partenaires européens, c’est un parti ouvertement eurosceptique.

L’intégration des “néo-Danois” est une question récurrente et liée à l’extrémisme :

Malgré le passé expansionniste et colonial du royaume, l’immigration reste un phénomène relativement nouveau qui déconcerte la communauté nationale. Depuis la perte de ses anciens territoires, le Danemark était resté un État-nation qui se concevait comme ethniquement très homogène. Suivant le besoin de main d’œuvre d’une industrie pleine croissance, l’immigration au Danemark ne commence vraiment que dans les années 1960.[3]

« Depuis la perte de ses anciens territoires, le Danemark était resté un État-nation qui se concevait comme ethniquement très homogène »

Aujourd’hui encore, les personnes d’origine ethnique non-européenne sont souvent ségréguées géographiquement et socialement. Ils habitent pour la plupart autour des grandes villes, en particulier des les banlieues de Copenhague, d’Aarhus, d’Odense et de Aalborg[4], et vivent fréquemment dans des « ghettos » (que l’on définit comme des quartiers où les personnes immigrées représentent plus de la moitié de la population[5]). Cette distribution géographique peut compliquer l’intégration de ces populations au reste de la communauté nationale danoise car elle rend les rencontres entre les habitants de ces quartiers et ceux du reste du pays moins fréquentes. Cette isolation à la fois réelle et perçue peut constituer un terreau fertile pour la radicalisation politique ou religieuse. De plus, les Danois se perçoivent généralement comme un peuple ethniquement et culturellement homogène. Cette définition presque clanique de la nation peut compliquer l’intégration profonde à la communauté pour une personne qui n’a pas de liens préexistants avec le pays.[6]

Des valeurs politiques communes empêchent toutefois cette dimension clanique de l’identité danoise d’être une base pour l’exclusion des autres. C’est pour ça que le critère d’intégration le plus souvent employé reste l’emploi. Dans un pays où l’État-providence repose essentiellement sur l’imposition du travail, avoir un emploi est crucial pour être considéré quelqu’un qui contribue à la société, et pas un « touriste social »[7]. Cela implique que les immigrants reçoivent gratuitement des cours de danois, et une lutte contre les discriminations à l’embauche pour permettre cette intégration par le marché de l’emploi.[8]

Cependant, cette idée de l’intégration par l’emploi perd progressivement du terrain face à l’idée de l’assimilation culturelle. Dans la mouvance de DF, plus en plus de politiciens exigent que les populations étrangères ou « néo-Danoises » adoptent un mode vie calqué sur le stéréotype du Danois traditionnel. Par exemple, la commune (équivalent d’un canton français) de Randers a voté que « les institutions communales doivent suivre la culture culinaire danoise »[9], ce qui veut dire que du porc doit être servi dans les cantines publiques, dont celles des écoles et des hôpitaux.

Ces discours identitaires ne sont pas encore politiquement correct[10], surtout dans les régions urbaines qui accueillent l’essentiel des populations étrangères. Ces régions là gardent toujours beaucoup la politique d’intégration par l’emploi. Il sera intéressant d’observer dans quelle mesure cette orientation va être maintenue dans le futur, en particulier face aux case de radicalisation religieuse observés par exemple autour de la mosquée de Grimhøj à Aarhus, ou bien dans le quartier populaire de Nørrebro à Copenhague qui a vu grandir l’homme derrière les attentats du 14 février 2015.

Ces attaques terroristes sont le fait d’un seul homme, un Dano-Jordanien de 22 ans ayant juré allégeance au groupe État Islamique une semaine seulement avant de passer à l’action. Bien que ces attaques contre une conférence sur le blasphème et la liberté d’expression et la Grande Synagogue de Copenhague aient fait deux victimes, toutes deux de nationalité danoise, elles n’ont pas marqué un tournant radical dans la vie politique du royaume mais ont plutôt contribué à renforcer les discours identitaires et sécuritaires déjà existants. Cette tragédie n’a pas été perçue comme étant une action contre le seul Danemark, mais a été plutôt vécue comme une confirmation que le Danemark, en tant que pays occidental et membre d’une communauté de valeurs, est aussi menacé par le montée du terrorisme islamiste.

Les populistes ne sont pas les seuls à parler d’intégration et de radicalisation :

L’évolution conjointe du contexte national, européen et international vers plus d’incertitude et un plus grand sentiment d’insécurité créent un contexte favorable aux partis comme DF. Mais DF n’est pas devenu la seconde force politique du royaume seulement grâce à ses discours xénophobes. Ce parti a su exploiter les difficultés auxquelles les Danois les plus ruraux font face, des citoyens qui ont le sentiment d’être oubliés ou considérés comme des citoyens de second rang par les politiciens traditionnels. Plus généralement, ils gagnent du terrain en essayant de se positionner comme les défenseurs des succès de l’État-providence danois, et de toute la culture politique qui s’est développée autour de ce système durant les cinquante dernières années et qui peut aujourd’hui sembler menacée. Menacée selon eux par une perte de souveraineté et de marge de manœuvre due à l’intégration européenne, et par les membres non-productifs de la société, les « assistés » dans les discours politiques français.

Ce focus sur la préservation d’un modèle de société souvent embelli a été désormais adopté par la plupart des partis traditionnels. Cela montre le poids considérable que DF a quant il s’agit de donner le ton du débat politique national. Aujourd’hui, la majorité des nombreux partis politiques du pays ciblent officiellement les personnes qui reçoivent des aides publiques dans leurs discours et leurs politiques, mais chaque parti essaye de le faire en fonction de leurs valeurs propres. Les sociaux-démocrates nous ont offert un exemple de ce discours durant l’élection législative de 2015, en adoptant le surprenant slogan « Si tu viens au Danemark alors tu dois travailler »[11]. Le message est clair, mais ils ont pris soin de ne jamais préciser qui est ce fameux « tu » qui vit dans le pays sans contribuer au système. Cette campagne reflète très bien le malaise qui règne au Parti Social-Démocrate quant il s’agit de parler d’immigration. Depuis leur défaite aux législatives de 2001, les sociaux-démocrates ne savent pas comment concilier ce nouveau discours avec leurs valeurs traditionnelles.

La plupart des partis de droite ont une ligne politique plus claire : les étudiants, les immigrants non-européens et leurs familles sont une charge budgétaire qu’il faudrait réduire. Les étudiants sont ciblés à cause du montant de l’aide universelle qu’ils reçoivent tous pendant la durée de leurs études, et certains sont accusés d’abuser de ce système généreux. Mais la cible la plus claire reste les immigrés et les « néo-Danois », qui sont fréquemment rangés dans le même sac. Malgré le fait d’être souvent accusés de ne pas contribuer à la société, ces partis les accusent de plus en plus fréquemment d’œuvrer pour la ruine du Danemark.

DF est indubitablement le premier parti à accuser les « néo-Danois » de saboter la société danoise et à les associer avec l’islamisme radical. Mais ils ne sont clairement pas les seuls à le faire ouvertement. Les Conservateurs (Det Konservative Folkeparti), un parti de centre-droit, ont lancé l’année dernière une étonnante campagne médiatique contre « l’islamisme-nazi »[12]. Cela a déclenché une vive controverse sur l’intérêt d’associer l’Islamisme radical à une idéologie totalitaire, comme le PVV de Geert Wilders choisit de le faire au Pays-Bas. Cet épisode illustre bien comment mentionner l’Islam en dehors du cadre traditionnel de l’intégration au système d’État-providence est un devenu un moyen sûr et relativement simple pour un parti traditionnel d’attirer l’attention.

« La commune d’Aarhus, deuxième aire urbaine du pays, offre un exemple unique de programme de déradicalisation »

La question de l’intégration des nouvelles populations et celle de la radicalisation religieuse n’est toutefois pas laissée à DF et à d’autres partis de droite. La population musulmane danoise n’est pas résignée à être stigmatisée et reléguée à un rang de citoyen de second rang[13]. Ils participent en effet activement à la politique locale et essayent de contrecarrer les effets des discours populistes. Ces réponses peuvent s’observer dans la société civile à travers les positions de plusieurs associations et de personnalités. Dans le domaine politique, une initiative est particulièrement intéressante : le Parti National (Nationalpartiet). Ce nouveau parti fut fondé en 2014 par un groupe de centristes d’origine étrangère. Malgré leur influence minime sur la scène politique nationale, ils bénéficient d’une certaine couverture médiatique, notamment pour leur usage fréquent de symboles patriotiques et pour leurs condamnations de l’extrémisme.

De plus, les pouvoirs publics font très attention à ne pas laisser la question de la radicalisation religieuse à la politique partisane et à la police. Bien qu’étant un État unitaire, le Danemark est profondément décentralisé, ce qui explique que les questions d’intégration des nouvelles populations et de radicalisation soient en grande partie laissées aux communes. La commune d’Aarhus, deuxième aire urbaine du pays, offre un exemple unique de programme de déradicalisation. Ce programme repose sur un système d’assistance sociale et psychologique réalisée par des tuteurs individuels afin de créer un lien de confiance et de proximité avec la personne radicalisée, qui revient parfois même de Syrie. Cette initiative est très suivie par les autres pays confrontés à un problème similaire. La Maison Blanche a notamment exprimé son intérêt pour ce programme.[14]


Sources:

[1] Andersen, Hans (2016): Danskerne skal ikke skamme sig over asylpolitikken, on: www.dr.dk.

[2] Politiko (2008): Thulesen Dahl erklaerer DF antimuslimsk, on www.politiko.dk.

[3] Bejder, Peter (2016): Indvandring til Danmark efter 1945, on: www.danmarkhistorien.dk.

[4] Udviget af Danmarks Statistik (2015): Indvandrere i Danmark, on: www.dst.dk.

[5] Udlaendinge-, Integrations- og Boligministeriet (2015): Liste over ghettoomrader pr. 1 December 2015, on: www.uibm.dk.

[6] Østergård, 1992:24.

[7] Christiansen, 2007:36.

[8] Beskaeftigelsesministeriet (2015): Alle skal bidrage, flygtninge og indvandrere skal ud pa danske arbejdspladser, on: www.bm.dk.

[9] BT (2016): Vedtaged med en stemmes flertal, on: www.bt.dk.

[10] Larsen, Thomas (2016): Oproret fra hojre ulmer i Danmark, on: www.politiko.dk.

[11] Politiken (2015): Socialdemokraterne lancerer ny indvandrerkampagne, on: www.politiken.dk.

[12] Jorgenssen, Steen (2015): Konservative erklaerer krig mod ‘naziislamisme’, on: www.jyllands-posten.dk.

[13] Togeby, Lise (2008). “The Political Representation of Ethnic Minorities”, Party Politics, vol. 14, no. 3, pp. 325-43.

[14] Knudsen, Lillian; Bohn; Mathias: Aarhus-Borgmester skal laere Obama om anti radikalisering, on: www.dr.dk.